Le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 discuté en procédure accélérée à l’Assemblée Nationale vise à « simplifier » la Justice ; C’est en réalité un bouleversement de nos fondements qui soulève de nombreuses inquiétudes.
C’est surtout l’autorité de poursuite qui voit son action « simplifiée », sans contrepartie au profit des justiciables. Les pouvoirs du Parquet sont en effet nettement renforcés et annoncent la disparition programmée du Juge d’Instruction, en phase avec le recul général des services publics.
Alors que l’avis du Conseil Constitutionnel qui a provoqué la réforme permettant à l’Avocat d’assister aux gardes à vues s’était fondé sur le trop faible recours au Juge d’Instruction dans les dossiers de poursuites, ce projet va aggraver le déséquilibre entre la défense et l’accusation.
Un Parquet tout puissant :
Le Magistrat du Parquet pourra désormais :
– Recourir à la détention provisoire dans le cadre des comparutions à effet différé (pouvoir auparavant réservé au Juge d’Instruction).
– Le texte permettra au Parquet de recourir aux écoutes téléphoniques très largement (délits punis de 3 ans seulement), à la géolocalisation.
– La durée de l’enquête de flagrance (art. 31) pourra être prolongée plus facilement. Elle est portée à seize jours pour les faits de délinquance ou de criminalité organisée.
Le contrôle du Juge des Libertés annoncé comme prétendue garantie du contrôle d’un juge du siège est artificiel puisque celui-ci, au terme d’une audience non publique, n’aura connaissance non pas du complet dossier d’instruction – mais uniquement des éléments que le Parquet voudra bien lui soumettre.
Quant à l’article 34 de ce projet de loi, il étend les possibilités de recours à la visioconférence, qui sera possible pour l’interrogatoire de première comparution, et pour laquelle l’accord de la personne ne sera plus nécessaire en matière de détention provisoire.
Or, la communication par visio-conférence est la plupart du temps insatisfaisante, la discussion est difficile par la mauvaise qualité des transmissions que l’on constate en pratique, le prévenu n’entend que mal et ne peut pas s’expliquer correctement, l’échange est compliqué, déshumanisé.
Le gouvernement avait procédé à une large consultation dite des « chantiers de la Justice » au terme de laquelle les Avocats ont proposé « 10 mesures d’amélioration et de simplification concernant différents stades de la procédure pénale ».
Aucune n’a été retenue, la réforme ne correspond en rien aux discussions menées dont on s’interroge sur l’utilité, sauf à donner l’apparence d’un dialogue.
Les révolutionnaires de 1789 avait instauré – par défiance envers la Justice du souverain – le principe du jury populaire pour statuer sur les infractions les plus graves. Ce projet, toujours dans le but de réaliser des économies, veut y mettre fin.
Le tribunal criminel pour remplacer les cours d’assises en 1ère instance
Cette nouvelle juridiction jugera, en première instance, les crimes punis de quinze et vingt ans de réclusion criminelle. Dépourvue de jury populaire, elle sera composée de cinq magistrats professionnels. Le but affiché de cette réforme est, avant tout, de diminuer la durée et donc le coût des audiences.
Le principe fondateur aux assises de l’oralité des débats (conçu pour ne pas orienter le jugement par un dossier écrit préconstitué par les enquêteurs) est supprimé : les assesseurs prendront connaissance du dossier avant l’audience, le dossier les suivra jusqu’au délibéré (ce qui n’était pas le cas auparavant, seul le Président connaissait le dossier, dont l’instruction orale était refaite).
Ces tribunaux criminels sont destinés à accueillir un flux important d’audiences, car la plupart des crimes jugés sont punis de vingt ans de réclusion, les appels ne représentent par ailleurs que 16,6 % des affaires jugées. Le Jury populaire ne sera plus qu’une exception, avant sa suppression programmée dont la réforme porte le germe. En cause, les frais qu’il génère d’indemnités journalières.
Mais comme il faut aller encore plus vite pour réduire davantage les coûts dans une logique comptable, l’article 40 du projet « simplifie » les dispositions relatives au jugement des crimes pour réduire la durée des audiences, et permettre ainsi le jugement d’un plus grand nombre d’affaires à chaque session.
La « simplification » de la procédure va conduire à :
- un recul des droits de la défense au profit de l’autorité de poursuite du Parquet, d’autant plus critiquable que cette autorité placée sous l’autorité du gouvernement n’est pas indépendante.
- une accélération de l’audience durant laquelle la rapidité sera recherchée, un recul de l’oralité (visio-conférence et réorientation vers une procédure plus écrite).
- « un parcours du combattant » pour les victimes qui ne sont plus les bien venues, en portant de trois à six mois le délai du procureur de la République pour répondre à une plainte simple, en exigeant un recours hiérarchique devant le parquet en cas de classement sans suite, en autorisant le juge d’instruction à refuser la plainte avec constitution de partie civile lorsque la citation directe serait possible. On ne veut plus que les victimes agissent en dehors de l’action décidée (ou pas…affaire du sang contaminé par exemple) par le parquet, lequel est soumis au Garde des sceaux.
La procédure civile « simplifiée » : une justice rendue tantôt par des non-magistrats, tantôt par des ordinateurs !
L’objectif de réduction de moyens conduit à faire rendre la justice sans juge dans certaines matières.
Les directeurs des CAF deviennent chargés de fixer le montant des pensions alimentaires post-divorce ou séparation (avec quels moyens supplémentaires, sur quels critères ??), sans audience et sans avocat.
L’article 3-2 permet une dématérialisation des procédures pour les « petits litiges ».
Selon l’exposé des motifs « l’objectif est de permettre aux justiciables, dans les procédures sans représentation obligatoire relevant du tribunal d’instance, d’obtenir une décision dans un délai raccourci grâce à des échanges s’effectuant de manière complètement dématérialisée, via le portail de la justice. Le jugement aura en principe lieu en dehors de toute audience. »
– les « petits litiges » devraient être ceux dont le montant va jusqu’à 10 000 €, donc ils ne sont « petits » que pour les auteurs fortunés du texte, mais ont un impact certain sur la vie quotidienne du plus grand nombre, lorsqu’il s’agit par exemple de faire annuler l’acquisition du véhicule d’occasion défectueux dont on a besoin pour travailler.
– Le jugement sera rendu sans audience, par utilisation d’algorithmes, c’est à dire par un logiciel. Les parties vont scanner leurs pièces sur un portail informatique, et le logiciel leur retournera un jugement ! Lorsque l’on constate le dysfonctionnement national et durable du site relatif aux permis de conduires et cartes grises …
– En dessous de 4 000 €, l’appel ne sera pas possible.
Le recours à cette procédure suppose « l’accord des parties », toutefois celui-ci ne sera plus nécessaire dans la prochaine réforme.
Exit le principe de publicité des débats, puisqu’il n’y aura même plus de débats, c’est une simplification en effet implacable pour l’Etat, mais au détriment des droits individuels puisque le justiciable n’aura même plus accès à un « vrai » juge.
L’Etat veut se désengager de la Justice.
Le projet prévoit également la suppression du tribunal d’instance, au profit du seul TGI (v. art. 54), de même pour les injonctions de payer une seule juridiction nationale serait créée dans le but de réduire les coûts.
A l’évidence compte tenu du nombre pharamineux de dossiers à traiter par une juridiction unique, l’intelligence artificielle sera utilisée pour traiter la masse de dossiers.
L’article 3-1 du PLPJ prévoit également pour les dossiers de droit commun au delà de 10 000 € que « devant le tribunal de grande instance, la procédure peut, avec l’accord des parties, se dérouler sans audience ».
On peut se demander au regard des exigences internationales de garantir l’accès à un « procès équitable » (article 6 CEDH) si un jugement rendu sans publicité, sans débats, et donc sans avocat, voir par une machine dans certains cas, y satisfait.
Pour finir, la simplification annoncée doit être comprise comme une réduction des coûts pour l’Etat, au prix d’un recul considérable des droits individuels.
Ce qui suscite de fortes inquiétudes.
JEAN-CHRISTOPHE BONFILS
AVOCAT Dijon
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